Introduction
Cette étude de cas porte sur un moment de l’histoire canadienne qui coïncide avec l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 et de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle met l’accent sur certaines actions citoyennes menées pour obtenir une reconnaissance constitutionnelle des droits des peuples autochtones (droits ancestraux et droits issus de traités).
Note : Cette leçon ne couvre pas toute l’histoire de la gouvernance, de la législation et des droits des peuples autochtones.
Soulignez d’abord que les Premières Nations, les Métis et les Inuits ont des structures de gouvernance distinctes : la gouvernance autochtone diffère du système politique fédéral général.
Contexte historique pour cette étude de cas
Lorsque la fédération que nous appelons aujourd’hui le Canada a vu le jour en 1867, par le biais de la Confédération, sa loi suprême (ou Constitution) relevait du Parlement britannique. Dans les années 1970, le gouvernement fédéral a décidé qu’il était temps de rapatrier cette loi et d’adopter une nouvelle Constitution canadienne.
De 1978 à 1982, des chefs et des groupes des Premières Nations, Métis et Inuit ont mené des actions, à l’échelle nationale et internationale, afin de lutter pour la reconnaissance de leurs droits.
Cette étude de cas se veut avant tout un excellent exemple d’action citoyenne plutôt qu’une étude de l’histoire constitutionnelle.
Terminologie
La terminologie relative aux peuples autochtones du Canada évolue, et il n’est pas toujours facile de savoir quels termes utiliser. Voici quelques lignes directrices :
- Les Premières Nations, les Métis et les Inuits sont des peuples distincts. En fait, il y a plus de 600 Premières Nations. Il vaut mieux être précis, dans la mesure du possible.
- Pour désigner collectivement les Premières Nations, les Métis et les Inuits, utilisez les termes « Autochtones » ou « peuples autochtones ».
- La Constitution utilise l’expression « droits des peuples autochtones du Canada », en précisant qu’ils englobent les droits « ancestraux » et les droits « issus de traités »
Pour les besoins de cette leçon, nous utiliserons le terme « Autochtones » ou « peuples autochtones », sauf dans certains cas où le contexte historique l’exige. En effet, dans les années 1980, le terme courant pour désigner les Premières Nations était « Indiens ». Nous utiliserons donc aussi ce terme lorsqu’il correspond au contexte historique.
En quoi consistent les droits issus de traités, les droits ancestraux et les droits des peuples autochtones?
- Droits issus de traités : Ententes conclues entre la Couronne (le gouvernement) et certains groupes de Premières Nations, de Métis et d’Inuits, qui leur garantissent certains droits relatifs aux territoires et aux ressources. Certains traités ont été signés avant la Confédération, et d’autres, très récemment; tous sont encore en vigueur. Ces ententes entre nations créent des obligations contraignantes pour les deux parties. Ces obligations ont été interprétées différemment par les parties concernées et font encore l’objet de pourparlers aujourd’hui.
- Droits ancestraux : Droits qui s’appliquent à l’ensemble des Premières Nations, des Métis et des Inuits du Canada et qui sont confirmés dans la Constitution.
- Droits des peuples autochtones : Droits énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et qui s’appliquent aux peuples autochtones du monde entier. Le Canada a signé la Déclaration.
Bref historique des droits des peuples autochtones dans la Constitution
Lorsque le gouvernement du Canada a décidé vers la fin des années 1970 de rapatrier la Constitution, c’est-à-dire d’en faire une loi canadienne au lieu d’une loi du Parlement britannique, les peuples autochtones s’attendaient à être consultés et à faire partie du processus. Les droits existants, c’est-à-dire les titres ancestraux et les droits issus de traités, seraient-ils reconnus? Auraient-ils leur mot à dire dans les modifications futures de la Constitution canadienne? Ces questions ont amené des groupes autochtones à se mobiliser partout au pays pour que leurs droits soient confirmés dans la nouvelle Constitution canadienne.
Les principaux groupes autochtones actifs à l’époque étaient :
- la Fraternité des Indiens du Canada (maintenant l’Assemblée des Premières Nations), représentant les Indiens inscrits;
- l’Inuit Tapirisat du Canada (maintenant l’Inuit Tapiriit Kanatami), représentant les Inuits;
- le Conseil national des autochtones du Canada (maintenant le Congrès des Peuples Autochtones), représentant les Métis et les Indiens non inscrits;
- l’Association des femmes autochtones du Canada.
Des dirigeants des Premières Nations, des Métis et des Inuits ont utilisé diverses stratégies pour obtenir une reconnaissance constitutionnelle de leurs droits. Ils ont formé des groupes de militants, exercé des pressions auprès de politiciens, lancé des pétitions, préparé des mémoires, fait des présentations, et sollicité des appuis à l’échelle nationale et internationale. Un bureau a été établi à Londres, en Angleterre, pour coordonner des activités visant à convaincre les parlementaires britanniques de retarder le rapatriement de la Constitution au Canada.
Parmi les plus importants mouvements collectifs observés au Canada, mentionnons le « Constitution Express », une initiative de l’Union of British Columbia Indian Chiefs. En novembre 1980, deux trains quittaient Vancouver en direction d’Ottawa, embarquant des passagers en cours de route. Environ un millier de personnes, principalement des membres des Premières Nations, se sont ainsi rendues dans la capitale pour sensibiliser les Canadiens et les parlementaires à leur cause.
En 1980 et en 1981, le gouvernement fédéral a tenu plusieurs réunions sur la Constitution et plusieurs conférences des premiers ministres (fédéral et provinciaux) pour discuter de son projet de rapatrier la Constitution et d’instaurer une nouvelle charte des droits et libertés. Le projet exigeait un certain niveau d’accord entre le gouvernement fédéral et les premiers ministres provinciaux. Il n’a pas été facile d’y parvenir, car diverses provinces s’y opposaient. Au cours de toutes ces négociations entre le gouvernement fédéral et les provinces, les peuples autochtones avaient de la difficulté à se faire entendre. En novembre 1981, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont conclu une entente provisoire sur la Constitution qui ne tenait pas compte des droits ancestraux ni des droits issus de traités.
Cette nouvelle a incité des dirigeants autochtones à organiser des manifestations à la grandeur du Canada pour réclamer d’autres discussions entre les chefs autochtones et les chefs de gouvernement. Finalement, ils ont convaincu le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux de leur accorder la reconnaissance constitutionnelle réclamée par les peuples autochtones.
En fin de compte, les actions individuelles et collectives des membres des Premières Nations, des Métis et des Inuits ont porté leurs fruits. Le 1er juillet 1982, la Loi constitutionnelle a été promulguée : elle comprenait la Charte canadienne des droits et libertés. L’article 35 de la Loi constitutionnelle comprenait la garantie suivante : « Les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés. ». Dans la Constitution, « peuples autochtones du Canada » signifie les Indiens, les Inuits et les Métis.
La confirmation des droits ancestraux et des droits issus de traités dans la Constitution était une étape importante, mais l’histoire ne s’arrête pas là. Depuis 1982, les Premières Nations, les Métis et les Inuits ont mené de nombreuses actions pour affirmer leurs droits. Les pourparlers se poursuivent encore aujourd’hui.
Quelques concepts clés sur la Constitution canadienne et les droits ancestraux
La Constitution
Une constitution énonce les principes selon lesquels un pays est gouverné. La Constitution du Canada remonte avant 1867, mais c’est l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 (AANB) qui est le texte fondateur des lois et des structures de gouvernance du pays. Adopté par le Parlement britannique, l’AANB a donné naissance à la Confédération et a établi les responsabilités et les pouvoirs de chaque ordre de gouvernement, de même que les droits des habitants de la nation.
De 1867 à 1982, la Grande-Bretagne conservait le pouvoir de modifier la Constitution du Canada. Pendant de nombreuses années, mais plus particulièrement dans les années 1970, le gouvernement fédéral a cherché à transférer la Constitution de la Grande-Bretagne au Canada (c’est-à-dire à la « rapatrier ») afin de pouvoir la modifier. Le gouvernement fédéral et les provinces ont engagé de longs pourparlers pour définir le contenu de la nouvelle Constitution et d’une nouvelle charte canadienne des droits et libertés.
Lorsque le gouvernement fédéral est parvenu à un accord avec neuf premiers ministres provinciaux (seul le Québec faisait exception) sur le contenu de la Loi constitutionnelle et de la Charte canadienne des droits et libertés, le Parlement canadien a demandé au Parlement britannique d’adopter une loi pour rapatrier la Constitution du Canada. L’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 mettait fin à l’obligation du Parlement britannique de prendre part aux affaires constitutionnelles du Canada.
Les peuples autochtones et la Constitution
Des ententes entre la Couronne et les peuples autochtones existaient avant la Confédération et l’AANB. Les modalités de ces ententes sont inscrites dans la Proclamation royale de 1763 et dans des traités.
Aux termes de l’AANB, les « Indiens et les terres réservées aux Indiens » relèvent du gouvernement fédéral. L’AANB ne contient aucune mention explicite des Inuits ou des Métis, car à l’époque, le territoire du Canada était beaucoup plus petit et ne comprenait pas les territoires de l’Ouest ni ceux du Nord.
Lorsque le territoire du Canada s’est agrandi après la Confédération, les relations entre la Couronne et les Premières Nations, les Inuits et les Métis étaient négociées et régies par des traités, l’Acte des Sauvages, 1876, des revendications territoriales, ainsi que d’autres lois et politiques. Or, il n’y avait aucune reconnaissance constitutionnelle nationale des droits ancestraux et des droits issus de traités avant l’établissement de la Loi constitutionnelle de 1982.